Monsieur le Préfet,
J’ai bien reçu votre courrier daté du 24 avril dernier par lequel vous me sollicitez pour la rédaction d’une contribution dans le cadre de la mission qui vous a été confiée par le Premier Ministre, en l’espèce d’échafauder un plan particulier d’actions en faveur du développement économique et social des territoires lorrains.
Ainsi que précisé dans la lettre de mission du Premier Ministre, il est vrai que notre Région est confrontée à des restructurations majeures et successives depuis près de 40 ans, en particulier dans ses filières historiques que sont les industries minière, sidérurgique, textile et automobile. A ce titre, elle mérite une attention toute particulière de la part de l’Etat et de l’Europe pour poursuivre d’une part les reconversions engagées et préparer d’autre part une économie plus diversifiée, orientée dans le sens d’un développement industriel et social durable.
La 8ème circonscription de la Moselle dont je suis député, et pour laquelle vous m’interrogez, est concernée par plusieurs projets, en cours ou en voie de l’être, de dimension régionale, voire internationale du fait de sa position frontalière. A mon sens, ces derniers devront impérativement être évoqués dans votre étude et seront autant de points d’appui pour réussir le développement durable des territoires lorrains.
Parmi les sujets que j’évoquerais, je commencerais bien entendu par la question industrielle en général et sidérurgique en particulier. L’accord arraché par le Gouvernement à ArcelorMittal concernant les investissements à hauteur de 180 millions d’euros sur la filière froide doit permettre de pérenniser le train à chaud, la cokerie et l’ensemble de la filière froide. Ces trois ensembles emploient encore plus de 2600 salariés. Toutefois, l’avenir de la filière liquide n’est pas assuré et la mise sous cocon prévue dans l’accord n’apporte guère de garantie quant au redémarrage des installations sises sur le ban communal de Hayange. Il faut pourtant se donner un nouvel horizon et continuer d’innover pour rester compétitif dans un marché très concurrentiel. Les investissements stratégiques d’ArcelorMittal pour Usibor, pour les moteurs du train à chaud, pour le gazomètre de la cokerie vont en ce sens. Ces derniers sont inscrits dans le plan dont le comité de suivi veille à la bonne réalisation.
Le projet LIS s’inscrit lui sur un temps plus long. Avec un investissement public-privé de 32 millions d’euros, le projet LIS dépassera largement les accords initiaux conclus avec ArcelorMittal. Il permettra de recentrer la recherche sur la réduction du CO2 en Lorraine. Ce projet est doublement innovant, puisqu’il vise à créer des modules technologiques permettant d’une part de diminuer la production de CO2 émis et lutter ainsi contre le réchauffement climatique et d’autre part de le valoriser dans un processus de recyclage en vue d’une meilleure efficience énergétique. En ceci, il sera plus abouti écologiquement et économiquement que feu le projet ULCOS, qui prévoyait le captage et l’enfouissement du CO2. De surcroît, il sera porté à 60 % par les laboratoires lorrains sur une durée de 6 ans. En ceci, le projet LIS consacre le centre de recherches ArcelorMittal de Maizières-les-Metz comme pôle d’excellence de la fabrication d’acier propre et valorise l’Université de Lorraine et ses chercheurs. Il s’inscrit en cela parfaitement également dans la stratégie du Conseil Régional engagée sous un label fédérateur « Vallée européenne des Matériaux et de l’Energie » que je trouve très pertinent.
Reste cependant que la question du lieu de réalisation du démonstrateur industriel pour le projet LIS n’est pas tranchée et qu’il convient de rappeler à ArcelorMittal ses engagements par rapport aux hauts-fourneaux de Hayange mis sous cocon. Par ailleurs, dans l’hypothèse d’une reprise de la croissance, il semblerait bien que le redémarrage des hauts-fourneaux soit impératif puisque déjà actuellement, en période de basse production, des problèmes d’approvisionnement en brames du train à chaud sont constatés.
Toujours dans le domaine de l’industrie et tout particulièrement sur le territoire dont je suis député, je crois également que le PACTES Lorraine 2016 devra prévoir des mesures de soutien à la compétitivité et à l’innovation des entreprises. Deux entreprises locomotives sur le territoire de Thionville Ouest ont d’ailleurs bien compris toutes les retombées économiques de l’investissement dans des outils innovants.
D’abord l’usine Tata Steel Rail, sise sur les bans communaux de Nilvange et de Hayange, qui a investi 47 millions d’euros ces 5 dernières années pour le passage aux rails de 108 m dans un premier temps et bientôt pour une nouvelle ligne de contrôle thermique.
Ensuite, Thyssen Krupp, qui a également misé sur l’innovation en investissant 35 millions d’euros dans la recherche pour réaliser des colonnes de direction à commande entièrement numérique. Dans le contexte pour le moins difficile que nous traversons, ces deux entreprises poursuivent leurs investissements d’avenir, seuls générateurs d’emplois, et il faut donc que nous continuions de les soutenir en ce sens via le Pactes Lorraine 2016 et via les outils mis en place par le Gouvernement, tels que le Crédit Impôt Compétitivité Emploi ou la Banque Publique d’Investissement.
Autre sujet sur lequel je dois que nous devons concentrer nos actions à inscrire dans le PACTES 2016, le développement du Très Haut Débit. Il s’agit là encore, selon moi, d’un enjeu majeur pour nos territoires, leurs acteurs et leurs populations car il est porteur de nouveaux services, nouveaux usages avec de vrais effets sur la chaîne de la valeur.
Un récent rapport de l’ARCEP montre ainsi qu’à court et moyen terme, dans un contexte où les technologies de l’information et de la communication prennent une importance croissante dans tous les secteurs de l’économie et dans le quotidien des citoyens, le développement du THD va permettre le développement et l’amélioration de services existants sur les réseaux haut débit, en particulier dans les domaines de la haute-définition, des services en ligne, des usages simultanés, de la télémédecine, du « cloud computing », du télétravail ou encore de la domotique.
L’après-mines et l’après industrie lourde constituent également selon moi des sujets essentiels qui ne peuvent pas être négligés dans le plan d’action particulier. Depuis les mesures de reconversion du Préfet, puis Ministre, Jacques Chérèque, la reconquête des friches industrielles, des friches minières est en effet encore loin d’être aboutie.
Et comment aller de l’avant et développer les territoires, si les stigmates du passé ne sont pas traités. En ce sens, vous l’aurez compris, je suis favorable à la poursuite d’un volet après-mines dans les prochains contrats de plans Etat-Région tel que l’avait mis en place en 2000 le Premier Ministre Lionel Jospin. Ces crédits spécifiques doivent être, pour l’essentiel, consacrés au renouvellement urbain de ces territoires pour certains fortement dégradés, offrant des paysages peu attrayants, et qui ne concourent pas à leur développement et à leur attractivité en dépit des efforts consentis par les collectivités territoriales, par exemple dans le domaine de la valorisation du patrimoine industriel.
Par ailleurs, toujours dans le domaine de l’après-mines, il me semble qu’une réflexion prospective devrait être engagée quant la valorisation des nappes aquifères du bassin ferrifère qui vont constituer, au terme du processus en cours de désulfatation des eaux d’ennoyage, une véritable richesse pour notre territoire.
Le Pactes Lorraine 2016 doit également, pour Thionville Ouest et pour l’ensemble de la Lorraine, donner une place importante à l’investissement dans des projets innovants, structurants pour les territoires et porteurs d’emplois dans des domaines d’avenir. L’Etat et la Région doivent envisager des investissements publics générateur d’une activité économique connexe, à l’image de l’OIN Belval désormais portée sur les fonds baptismaux avec la création de l’EPA. Le développement de cet espace transfrontalier passe désormais impérativement par la réalisation d’investissements publics générant une dynamique économique et sociale.
En ce sens, il m’apparaitrait cohérent d’implanter la plateforme CEA Tech, unissant étroitement recherche, innovation et entreprises, dans le périmètre de l’OIN en complément de la réalisation de l’éco-ville, du centre des données et de calcul scientifique.
Dans une logique plus transversale, dans cette contribution je veux également défendre l’idée que sans favoriser la mobilité des hommes et des biens, il est difficile de réussir le développement des territoires. Aussi, je crois que le Pactes Lorraine 2016 doit intégrer un certain nombre d’infrastructures essentielles. Dans le domaine routier par exemple, l’ajout d’une troisième voie à l’A31, de Thionville à la frontière luxembourgeoise, est un impératif tant les conditions de circulation sont devenues problématiques et qu’elles pourraient encore s’aggraver du fait notamment de la réalisation du projet Terra Lorraine. Que cette voie soit réservée au covoiturage et aux transports en commun (ce que je souhaite) ou non, il est nécessaire de la réaliser ce qui passe par son intégration définitive au Schéma National des Infrastructures de Transport lequel continue d’être discuté au niveau national compte tenu notamment du contexte très contraint des finances publiques.
Comme l’indique le Premier Ministre dans sa lettre de mission, le contrat particulier Etat Lorraine 2016 a vocation à mobiliser tous les acteurs publics et privés sur une feuille de route partagée.
S’il est vrai qu’il faut miser sur les technologies innovantes, sur les filières fortes, sur le développement durable, sur les ressources humaines d’excellence dont bénéficie notre Région, il n’en demeure pas moins que certains territoires mériteront une attention plus spécifique tant le poids des fractures du passé, mais aussi plus récentes, sont devenues des déterminismes difficiles à dépasser. Le bassin ferrifère et sidérurgique entre indéniablement dans cette catégorie de territoire. Il se situe certes en position géographique favorable, notamment vis-à-vis du Grand Duché de Luxembourg dont il est frontalier, mais l’actualité sidérurgique très récente a encore montré toutes ses fragilités que votre plan ne pourra pas éluder.
Michel LIEBGOTT